Tel est le vœu de Ramón Jáuregui membre éminent du PSOE, le parti socialiste espagnol, dans une interview exclusive pour Metis. Entré jeune dans ce parti comme syndicaliste puis comme avocat en droit social, il est devenu ensuite vice président du gouvernement basque puis eurodéputé, député, et dernièrement ministre de la présidence du dernier gouvernement socialiste. Défenseur très actif de la RSE, promoteur de nombreuses initiatives législatives dans ce domaine, cet intellectuel reconnu s'est vu confier par le secrétaire général du PSOE une réflexion sur les structures institutionnelles et politiques du pays. Il exprime aujourd'hui sa vision du travail en Europe.
Quelle est votre vision du travail dans les sociétés européennes d'aujourd'hui ? Quels sont les changements qui vous paraissent les plus importants ?
La grande transformation du travail correspond au passage de l'économie post industrielle à l'économie de la connaissance. Nous passons de la grande usine aux petits bureaux en zone urbaine. Les entreprises sont plus petites et plus volatiles. Les relations professionnelles se sont individualisées et dérégulées: on travaille plus et de manière plus flexible Le marché et la compétitivité priment sur les minima légaux. Un nouveau marché du travail est en train de naître bien que l'on ne sache pas bien ce qu'il sera.
Quel rôle a le travail dans les programmes politiques actuels ? Comment ceux-ci distinguent ils l'emploi du travail ?
Les programmes politiques parlent d'emploi car c'est l'urgence du moment. Ils ne parlent pas de la manière dont l'on travaille parce que le monde du travail classique se déconstruit petit à petit et aussi parce qu‘il y a deux mondes du travail : celui des travailleurs de la connaissance dont la plus value est intellectuelle, et celui des travailleurs "contingents" et interchangeables qui continuent à fournir une main d'œuvre classique. Les partis de gauche veulent conserver les modèles du vieux monde du travail et se taisent généralement sur le nouveau. Ils résistent à proposer des modèles adaptés au nouveau monde parce que cela suppose de rompre avec les sécurités du passé.
Actuellement il y a peu d'espace pour le travail dans les politiques de l'Union Européenne. En outre, la dynamique d'une législation communautaire du travail paraît pratiquement épuisée. Partagez vous ce constat et si oui, quelles en sont les causes ? Quels seraient les domaines de nouveaux développements possibles ?
En Europe les contradictions décrites entre vieux et nouveaux mondes s'aiguisent. . Et deux difficultés s'y ajoutent: l'énorme hétérogénéité des marchés du travail nationaux existants ainsi que la résistance de nombreux pays à ce que l'Europe « entre » dans leur modèle social.
Il y a un manque de politique solide en faveur d'une promotion de la RSE. La culture de la RSE est génétiquement européenne et doit être un levier formidable pour construire des relations professionnelles modernes. Flexicurité, formation personnelle, conciliation des vies privées et professionnelles, participation aux bénéfices et au capital ainsi que d'autres domaines de la vie au travail peuvent rénover, moderniser et enrichir le modèle social.
Pensez-vous qu'en Europe les partis socialistes se distinguent particulièrement des autres formations politiquées sur le terrain du travail ? Que pensez-vous que peut apporter ici l'élection de François Hollande ?
Les partis socialistes veulent sincèrement défendre les valeurs du modèle social du 20ème siècle. La droite européenne veut le dépasser en le basant sur la concurrence et la globalisation et ce tout en détruisant les principes protecteurs qui l'inspiraient. La solution est dans l'équilibre et le pacte. J'aimerais que Hollande impulse une idée européenne du travail et une rénovation culturelle des relations professionnelles dans le monde qui pourraient servir de base à la dignité humaine du 21ème siècle.
Comment voyez-vous le futur du mouvement syndical ? Quelles alliances croyez vous qu'il devrait forger avec la société d'une part, avec les partis politiques de l'autre ?
L'expérience nous dit que le syndicalisme est nécessaire mais, en même temps, son influence se réduit progressivement et se situe dans l'industrie et la fonction publique. Ses défis en termes de modernisation, de diversification et d'adaptation aux jeunes et aux petites entreprises sont aussi urgents que difficiles.
Comment analysez vous le mouvement des Indignés en Espagne et quelles sont ses conséquences pour les partis politiques et les syndicats ?
En Europe on a magnifié le mouvement dit du 15 mai. Ce mouvement a su fédérer des causes multiples. Mais il est désordonné et repose sur des assemblées qui discutent sans fin. Il a donné de la force à la protestation mais il lui manque des revendications concrètes et des alternatives possibles. Sa condamnation à égalité de la finance et des politiques est injuste. Son refus des partis et des syndicats les amène à un espace inconnu et dangereux.
par Claude Emmanuel Triomphe - 13 Juin 2012